( prénom, nom ): Je me rappelle très bien de ma mère, hurlant après moi entre deux bouffées de tabac. Je l'entends encore à travers la porte, avec son chat dans la gorge. Elle crie Pénélope Margaret Bloom et j'me demande toujours pourquoi ? C'est la seule qui m'appelle comme ça. La seule qui répète les syllabes en boucle jusqu'à s'enflammer les cordes vocales. Elle continue de brailler en s'étouffant avec sa cigarette. Puis, vient ce moment très spécial, durant lequel toute la maison est calme. Tellement calme que je peux m'entendre penser. Puis maman débarque dans ma chambre, les yeux explosés par la fumée qui lui brûle la rétine. Elle me regarde avec son air de chien battu et commence sa phrase par un Poppy qui sonne terriblement creux dans sa bouche. Et là, aujourd'hui, je comprends enfin cette fausse note. J'arrive à l'entendre sans la moindre interférence. Je la visualise quand elle la prononce et je perçois, pour la première fois, la tonalité qui se cache derrière ces accords faussés. C'était puppy comme son putain de toutou. ( âge ): J'ai vingt-deux ans pour le reste de ma vie. ( lieu de naissance ): Je suis née sur un autre continent, dans un autre pays, dans une autre ville. Je ne viens pas d'ici mais d'un ailleurs lointain. Ma terre natale est un royaume au milieu de l'océan. Un grain de sable parmi les milliers qui foulent la plage. Et quand je ferme les yeux, je peux entendre le plus bruit des vagues de la capitale, le brouhaha des rues de New-York. Lorsque je me concentre un peu plus, j'arrive à sentir l'odeur qui se dégage des fleurs de Central Park. ( origines et nationalités ): Sur mon passeport il est inscrit américaine mais je ne me souviens pas l'avoir présenté à l'aéroport d'Adelaïde. ( lien avec adelaïde ): J'ai passé dix ans dans l'Upper East Side, toute mon enfance en somme, avant d'atterrir en Australie. Les nombreux amants de maman ont fini par convaincre papa de prendre le large. Tout comme la faillite médiatisée de son cabinet d'avocats. ( statut matrimonial ): Le mariage est une grande farce chez les Bloom, je peux vous l'assurer. Ce n'est pas seulement mes parents, ni mes grands-parents, ni mes oncles et mes tantes, ni mes cousines. Ce sont toutes les générations que nous formons, condamnées par une malédiction. Elle prend vie dès qu'une bague s'insinue au sein de l'idylle. Alors à choisir, je préfère encore la bénédiction d'être seule aux secrets, tromperies et liaisons qui empoisonnent les romances. ( emploi ou études ): Etudiante, n'est-ce pas le statut rêvé ? La possibilité de profiter de sa jeunesse avec l'argent de papa et maman ? Je ne me rappelle pas du cursus choisi, j'ai probablement suivi Nora, ma meilleure amie car elle fait toujours les bons choix. Contrairement à son frère qui ne peut pas m'aider à me décider désormais. Il s'avère encore plus paumé que moi, comme quoi certaines choses ne changent pas. ( orientation sexuelle ): Je n'aime pas les étiquettes mais celle-ci, je ne peux pas la renier. Dans la famille Selwyn, j'ai beau préféré la fille au garçon, c'est pourtant lui qui m'attire le plus. ( groupe ): Sudden.

---

( le caractère changeant de l’alouette ): Au début, les gens emploient des termes bienveillants à mon égard parce qu'ils ne veulent pas manquer de respect à mes parents. Ils se contentent de dire, cette petite est une chipie mais en réalité ils pensent que je mérite une bonne baffe, histoire de me calmer ! N'ayez crainte bande d'hypocrites, ma mère les offre généreusement. Et plutôt deux fois qu'une. C'est son truc, les gifles. Elle aime entendre le claquement qui retentit lorsque sa main rencontre ma joue. Cette mélodie est effrayante les premières fois, je dois bien l'avouer mais à force, je m'y habitue presque. Probablement parce que je grandis au milieu d'une guerre froide. Mes parents ne s'aiment pas, ils se supportent et moi je préfère encore la colère de maman à la froideur de papa. Alors je la provoque pour l'obliger à me regarder. Je fais ça avec tout le monde et ils s'accordent, ensemble, à me détester. Très vite, la petite peste du coin devient la connasse à abattre. J'aime cette réputation, elle dissuade les névrosés de m'approcher, c'est-à-dire, 90% de la population. Les 10% restants, j'en fais une affaire personnelle. Je ne deviens pas quelqu'un d'altruiste, c'est une évidence mais cela ne m'empêche pas de dormir la nuit. Je ne ressens aucun remords à m'en prendre aux autres, à les humilier ou les rabaisser. Au contraire, j'aime les voir souffrir afin d'oublier ma propre souffrance, cachée derrière cette arrogance que je vends au monde parce que je suis douée. Bien que mon entourage préfère me descendre plutôt que d'énumérer mes nombreuses qualités, j'en possède beaucoup. Non seulement je suis incroyablement belle mais j'ai des neurones plus développés que le commun des mortels. La preuve, je parviens à m'épanouir sans consulter de psychologue comme ces enfants perturbés et battus qui se révèlent être de véritables sociopathes. Moi, je suis juste une emmerdeuse de première avec beaucoup d'humour et de classe. Enfin, je le suis de mon vivant. Depuis l'accident, je me sens différente. Cela m'effraie même si je n'aime pas en parler. Toute cette peine enfouie au fond de mon coeur commence à ressortir et je ne sais pas comment la gérer. Je passe mon temps à critiquer les autres énergumènes d'Adelaïde pour oublier ce qui m'arrive. Pour oublier ces sentiments que je ressens. Je n'en veux pas, c'est beaucoup trop à gérer. Je dois déjà supporter Alec dans cette nouvelle dimension, une punition à la fois !
( le point final d'une histoire sans fin ): Je ne me rappelle pas des détails de ma mort, j'ai seulement des visions de la scène qui précède mon tragique décès. Je suis installée à côté de Nora, à l'arrière de la voiture, endormie sur mon épaule comme une petite fleur fragile. Je peux sentir le parfum de ses cheveux qui me font presque oublier la présence de son abruti de frère. Bien que je me sois proposée pour conduire, consciente de ses excès de vitesse, c'est lui qui fait le trajet. Par conséquent, il choisit la station radio la plus minable qui soit. Une fois de plus, j'exprime ouvertement mon mécontentement et je vois ses lèvres remuer mais je n'entends pas ce qu'il dit. C'est silencieux. Étrangement silencieux. Je jette un coup d'oeil à mon portable, faisant défiler les photos prises ce week-end. Evidemment, sur la plupart d'entre elles, j'y suis avec ma somptueuse Nora. Sur certaines, nous sommes avec sa famille. Parfois, j'ai l'impression que c'est presque la mienne parce que je passe tellement de temps avec eux. Je fais les fêtes, les anniversaires, les baptêmes, les mariages et les enterrements aussi. Je rêve que Madame Selwyn m'adopte pour Noël. Rien que d'imaginer la tête d'Alec, cela me fait sourire. Il faut dire que je suis plus présente que lui, j'ai même une brosse à dents à mon nom dans leur maison de vacances. Je range mon téléphone lorsque soudain, les phares d'une voiture sur la route m'aveugle. Puis l'instant d'après, la ceinture de sécurité me sectionne les veines du cou. Je n'ai pas le temps de saisir ce qui se passe... c'est le noir complet. Je perçois seulement des murmures au milieu de l'obscurité. Je n'ai pas peur, non et j'ignore pourquoi.

Spoiler:

---

Je n'ai pas l'impression d'être morte, honnêtement. Je me sens vivante, plus vivante que jamais. Les battements de mon coeur grondent comme un million de New-Yorkais lors d'un concert de Beyoncé. Parfois, je me demande s'ils ne vont pas s'échapper des parois de ma poitrine d'un instant à l'autre. Et le plus perturbant dans cette histoire, c’est que je n’ai pas vu ma vie défiler devant mes yeux avant de rendre mon dernier souffle. Je suis simplement partie. Sans dire au revoir. Sans réaliser ce qui m’arrive. De toute façon je ne vais pas manquer à grand monde, la liste est assez courte, elle se réduit à une seule personne… Nora. Mon ange gardien, mon rayon de soleil, ma joie de vivre. Je me souviens de son visage dans les moindres détails, de l’éclat de son rire quand elle se marre et des plis de son front quand elle se fâche. J’aimerais tellement la revoir une dernière fois pour lui dire combien je l’aime, mais je la préfère en vie, loin de moi que morte à mes côtés. Elle va probablement écrire une chanson sur notre amitié, faire rimer tous mes défauts avec des noms de fleurs exotiques et trouver un moyen d’attendrir les gens, mêmes ceux qui me détestent.

C’est le travail de toute une vie, Nora, alors accroche toi parce qu’il y a du boulot. En échange, je te promets de veiller sur ton frère même si de toute évidence, mon job est beaucoup plus éprouvant que le tien.

J’ai beau critiquer Alec tout le temps, c'est à dire vraiment tout le temps, je suis vraiment contente de pouvoir compter sur lui. Il rend la mort, comment dire, moins… morbide je suppose ? Je trouve un semblant de normalité en sa compagnie, notamment par le biais de nos disputes incessantes et c’est un véritable soulagement. J'ai besoin d'ignorer la vague émotionnelle qui s'abat sur moi dès que je ferme les yeux. Et je n'aime pas le reconnaître, mais sa présence me permet d'échapper à ce tourment. Lorsqu'il me regarde, me parle, m'effleure, j'oublie la réalité qui nous entoure. Je redeviens, l'espace d'un instant, celle que je suis depuis ma naissance. La garce haïe par la planète entière. C'est plus facile d'incarner cette fille que d'être la nouvelle. Je ne veux pas ressentir ces étincelles jaillir de mon estomac ni ce feu d'artifice exploser dans ma cage thoracique. Tout ce qui m'intéresse, est de trouver un moyen de refouler ce trop plein d'émotion. J'ignore comment le gérer. Comment l'éteindre. Je ne suis pas censée avoir le coeur réduit en poussière par hasard ? Ce n'est pas le point final de la mort ? Le but ultime ? Ce qu'on appelle, le repos éternel.

Tu dois être ravie maman, maintenant tu as une vraie raison de pleurer. Tu viens de perdre ta petite fille chérie mais ce que les autres ne savent pas, c'est que j'ai connu une mort précoce près de toi. Tu m'enterres pour la deuxième fois.

Je suis un peu soulagée, je dois l'admettre, de savoir que je ne vais pas revoir ma mère avant des années. Enfin, j'ose l'espérer. Parce que l'éternité est tout juste suffisante pour me remettre de mon enfance. J'en garde quelques bons souvenirs, c'est vrai, mais ils sont tous tâchés par la femme derrière le masque. Maintenant je comprends papa et ses multiples conquêtes. Tout ce temps épuisé à fuir une seule personne. Je me demande seulement pourquoi il n'est pas là, avec moi. Comment peut-il encore supporter cette pièce de théâtre si dramatique ? Je crois que c'est l'habitude. A force, certaines choses ne parviennent plus à nous toucher. La violence des mots nous effleure, la cruauté des gestes nous indiffère et très vite, le monde tourne sans nous. Très vite, les monstres, ce sont nous. J'en suis devenue un alors pourquoi je ne me trouve pas en enfer d'abord  ? C'est la question à un milliard de dollars ! Il doit probablement y avoir une file d'attente extrêmement longue par conséquent je vais finir par m'y rendre, tôt ou tard. Il faut être réaliste, je ne suis pas morte pour bénéficier d'une seconde chance. Je suis morte parce que j'ai mérité de crever comme une garce.

Et vous savez quoi ? Je me sens vivante, plus vivante que jamais. Alors je vous emmerde tous autant que vous êtes. Surtout toi, le karma. Parce qu'un jour, oh oui un jour, j'aurai ta peau.